Un lieu. Des souvenirs.
Je ne peux que me remémorer ces instants, cette vie qui n'est à présent plus la mienne. Enfin mon courage est revenu, enfin je me sens apte à venir à nouveau fouler cette terre qui est la mienne. Mais à bien regarder, plus rien ne me parle. J'observe, mon regard passe d'un point à un autre, ne quittant pas un instant l'immense étendue d'eau. Mes talons foulent le sol avec subtilité, mon corps m'incitant à posséder cette allure si féminine, à la manière d'une danseuse en plein spectacle. Sur moi, une simple robe composée d'un tissus épais bien que la quantité de celui-ci est, il faut l'avouer moindre. Elle met en valeur les formes parfaites de ma silhouette que je prends la peine de dissimuler sous une large cape au col de fourrure. Le froid est intense, ne serais-je plus habituée ? Hm, cela n'est pas possible. Jamais. Surtout pas.

Puis je m'incline, je courbe un peu mon buste afin de l'observer avec attention. Cette image, ce reflet. En compagnie d'un rapide soupir incontrôlable en provenance de mes lèvres légèrement pincées, je regarde cette femme que je suis devenue. Belle certes, mais qui suis-je vraiment ? Je ne ressens plus rien, même ce paysage me paraît inconnu. Mes sens, mon instinct de créature ailée, je ne suis plus à même de les ressentir en moi. Pas une once. Puis un son, un bruit peu discret. Avec hâte je me retourne tout en m'apprêtant à attraper l'une de mes armes. Je me ravise néanmoins. Ma chère, nous sommes chez les algiz, ici les armes sont un symbole de traîtrise. Pour le moment, se contenter de la voix est plus judicieux, sauf, bien sûr si un monstre hideux ose bafouer ma vision et mon être. Qui est là ? Ma voix est douce, sans agressivité.

Lloyd. Pourquoi lui ?
Le hasard est décidément peu aimable avec ma personne. Comment ose-t-il, comment daigne-t-il placer sur mon chemin une telle image de mon passé ? Un illustre personnage comme ce corbeau. Comme si je pouvais être prête à une telle confrontation. Bon sang. Il me regarde, il s'approche même tandis que je ne daigne sourciller, pas un mot ou un membre en mouvement. Je me contente d'observer bien qu'au fond de moi, la crise est bien là. Cela est même peu dire. J'attends, encore puis je me secoue. Que diable ma belle, pourquoi mon âme chavire-t-elle ainsi pour si peu ? L'instant de prouver ce que je suis devenue est arrivé. D'un geste vif, mon bras se hisse dans sa direction, le doigt vers lui.

N'approche dont pas goujat ! Comment oses-tu me parler de bonnes manières alors que tu te permets de ne point saluer une dame en bonne et dû forme ! Fais au moins le nécessaire pour respecter mon espace vital. Mon faciès arbore cette expression agacée que j'aime temps user lors de mes diverses rencontres. Mon corps, lui, conserve cette dignité qui me représente. Droit, un brin penchée vers l'arrière. Mais je suis contente de te revoir tout de même, j'ai eu vent de ton nouveau statut. Toutes mes félicitations, corbeau. Malgré cette soudaine sympathie, je tâche de garder ma position peu commune. Pointer du doigt n'est point poli ? Peu m'importe. Surtout, Lloyd ne doit pas comprendre. La vérité doit rester dissimulée.

Surtout maîtriser la situation.
Mon regard dans sa direction, je ne quitte pas d'une semelle le corbeau. Je dois le surveiller, lui, ses gestes et surtout son fichu esprit d'analyse. Ce dernier était déjà fort affûté à l'époque, je n'ose donc imaginer ce qu'il a pu devenir maintenant qu'il est l'une des têtes pensantes de la nation des algiz. Mon doigt pointé dans sa direction, il chute finalement afin de se replacer le long de mon corps, mes bras ballants. Surtout, il ne doit pas comprendre la vérité à mon sujet, Lloyd n'est point prompt à comprendre cette nouvelle situation, celle qui a subjugué ma vie depuis de nombreuses années déjà. Les avis bien tranchés de mes anciens amis concernant les humains est encore gravé en mon âme. Je risque gros en rencontrant quelqu'un comme lui. Prudence.

Tu en fais trop. Beaucoup trop. Mes yeux se hissent vers le ciel tandis que j'use de mes propos. Cette manière d'aborder ma personne m'agace, il m'agace. Le passé est le passé Lloyd, ne joue dont pas sur ce point là, tu sais que mon caractère ne te laissera pas faire. Bien trop longtemps que nous ne nous sommes pas vus, tu ne peux utiliser cet argument à mon égard. Le corbeau s'approche, un peu mais sûrement de ma personne. Mes mains viennent donc au niveau de ma cape, la fermant un peu afin de recouvrir la totalité de mon corps. Je reste ainsi, comme pour mimer le froid qui pourrait assaillir mon corps. Il ne doit pas poser ses yeux sur mes armes. Moi, régner ? Je n'étais qu'une sous-fifre je te rappel. Un rire quitte ma bouche, franc et hautain. J'ai simplement décidé de voyager un peu, de profiter de mes ailes pour observer le monde d'en haut. Bref, j'avais besoin de liberté Corbeau. Et toi ? Tu dois être fort occupé à soutenir Naberius, comment trouves-tu le temps de rôder ici, sans but ? Mon regard observe autour puis se fige à nouveau sur mon vis à vis.

Il approche. Encore.
Les mains au niveau de ma cape, je fais le nécessaire pour la concerver close, à l'abris des regards indiscrets de cet homme qui était mon ami. A l'abris de sa curiosité que que je ne dois point sous estimer. Le corbeau était déjà ainsi à l'époque, sans aucun doute qu'à l'heure actuelle, un tel penchant de sa personnalité n'a guère changé. Je pense même qu'il est bien pire. Comme instinctivement, je clos un peu mes yeux, à demi comme pour arborer cet air sournois que l'homme du nord cherche à dissimuler. Lloyd, pourquoi cherches-tu toujours la petite bête ? Cette rencontre ne risque pas d'être facile. Destin infâme.

Du mieux que je peux, j'essaie de dissimuler cette peur qui m'assaille tandis qu'il s'évertue à s'avancer. Je te connais, surtout. Voilà de nombreuses années que nous nous sommes vus, Corbeau, tu n'es nullement du genre à courber l'échine à la rencontre d'un visage du passé. Tu es un puissant calculateur, un tacticien Lloyd. Je te connais. Conservant ma main gauche sur ma cape afin de la conserver close, je mène la droite dans mes cheveux que je fais glisser le long de ma chevelure. Peut être ou peut-être pas. Ce que j'aurais pu devenir ne m'intéresse plus. Je ris. Oh, pauvre homme, tu dois être si éreinté.

Puis mon instinct m'appelle, il m'alarme. Comme si le danger, le moment que je redoute tant était sur le point de se produire. Mes yeux encore et toujours figés sur mon interlocuteur, je me crispe d'avantage au fur et à mesure de son approche. A la manière d'un danseur, le corbeau cherche à me déstabiliser. Me préparant à tout, je me vois tout de même surprise quant à son acte. Comment ose-t-il ? Mécréant, qu'elle folie a bien pu te piquer ?

Mes yeux s'écarquillent à son geste, je ne sais que dire, que faire. Aucun de mes mouvements ne me répond tandis qu'il découvre les armes présentes sous ma cape. Abjecte ! Plaçant ma main au niveau de ma nuque, je me courbe un peu en arrière, offrant un joyeux coup de pied au niveau de l'entre jambe de Lloyd. Je ne retient en rien mon geste, je lance toutes mes forces. Profitant de la douleur qui l'envahit, je le contourne afin de créer une certaine distante entre lui et moi. Empoignant l'une de mes arbalètes, je la pointe dans sa direction. Espèce de vermine. Mon visage est tendu, crispé par la rage. Si tu voulais les voir, il suffisait de demander ! Porc. 

Haine, agacement.
Je conserve le bras tendue dans la direction de mon agresseur du jour. La pointe du carreau ne le lâche pas, elle est avec précision placée vers lui, vers son torse tandis qu'il essaie du mieux qu'il de reprendre ses esprits. Mes coups de pied ont au moins le mérite de se montrer utile. Ami ou pas, ce sauvage n'avait qu'à pas attaquer mon espace vital. Imbécile. Un brin inclinée en arrière afin d'accentuer mon aspect hautaine, je fais tout mon possible afin de lui prouver que je ne plaisante pas. Maintenant que Lloyd a découvert ma véritable et nouvelle identité, je ne peux jouer d'avantage avec le feu. Qu'attends-tu de ma personne à présent, corbeau ?

Sur le point de m'agacer sans me retenir, je m'interrompt à la soudaine question de mon vis à vis encore crispé suite à mon assaut. Le sourcil droit présent sur mon faciès se hisse, les lèvres se tordent un peu. « Evidemment que je ne voulais pas que tu le découvres, je sais l'avis des tiens à l'égard de ceux de mon acabit. Comment pourrais-je de ce fait agir autrement ? » Un fin soupir quitte mes lèvres, trônant sur mes paroles. « Car tu penses que je vais te raconter de telles choses ? Aussi aisément, surtout avec ton attitude actuelle ? Tseuh, que tu es naïf ! » Mais il est trop tard. Les images de ce passé que je cherche à enfouir refont déjà surface, elles resurgissent. Des années que je cherche à les dissimuler au fond de ma personne, de mon esprit et pourtant, une simple rencontre aura suffit à tout faire basculer. Pourquoi quelle raison ? Comment ? Mes doigts se crispent autour de l'arbalète. « Tu ne peux même pas imaginer la vérité Lloyd. » Surtout garder la tête haute.

L'arbalète ne fait aucun mouvement, elle est figée, la pointe du carreau en direction de mon vis à vis. Pourquoi, oui pourquoi ? Ce simple mot, cet unique terme, il ne cesse de se répéter dans mon esprit tandis que je ne fais moi aussi, aucun geste. A la manière d'une statue ne je veux point me mouvoir, ne pas perdre de vue cet individu aussi fort qu'intelligent. Il ne doit pas briser ma carapace. Non Lloyd, tu ne pourras me vaincre. Mon apparence est là, tête haute mais mon esprit lui, ô oui il est frileux. Un soupir quitte ma bouche à l'instant où il prend la parole, tentant du mieux qu'il peut de se reprendre suite à mon assaut sur son entre jambes. Te voir souffrir m'apaise corbeau, à la manière d'une mélodie, celle d'une douce vengeance face à ton acte, face à ta tentative de me cerner. Moi, mon doux, je ne suis guère l'un de tes hommes. Ne te méprends pas. « Ne fais pas celui qui peut lire en moi comme dans un livre. Naïf que tu es ! » Ma mâchoire se crispe dès lors que je prends la parole, silencieuse par la suite. 

Il s'enfonce cet imbécile. Lentement mais sûrement il descend la pente sans aucun moyen de freiner sa course. Son allure, sa manière d'être. Tant de détails qui m'irrite. Non, je ne peux pas me taire. « Comment oses-tu porter de tels soupçons à mon égard ? De l'amour, un coup d'un soir, que tu es pathétique. » Le ton que j'emploie est agressif, très agacé. Je ne m'arrête pas là néanmoins. « A cette époque, mes idéaux étaient les mêmes que les tiens corbeau. Comment peux-tu imaginer cela, ne serait-ce qu'une seconde ? » Mon doigt frôle, il caresse l'arbalète. L'envie de lui tirer dessus m'envahit, je veux lui faire mal, autant que lui avec ces propos tout du moins, jusqu'à cet instant. La vérité surgit, se fait entendre. Le voilà proche de moi, d'un geste il fait virevolter mon arme sans même que je ne puisses faire quoique ce soit. La surprise est telle qu'elle m'a vaincue.  « Tss » Mon faciès est sans expression, pas un mouvement sur mon visage bien que mes yeux se plissent. « Calme-toi. Cela ne te regarde en rien, jamais. » Les mains contre ses épaules, je le pousse un peu, m'avançant afin d'attraper mon arbalète. « Et donc, c'est tout ? »