A présent la situation mondiale est compliquée, très compliquée. Les tensions entre les différentes nations sont plus que palpables, autant pour les hauts placés que pour les populations. Tous les regards sont tournés en direction des terres des hommes bêtes, ceux qui ont bafoué cette paix, ceux qui ne cesse de mettre des bâtons dans les roues de tout le monde. Pauvres êtres inférieurs. Bientôt trois longues semaines que ma personne est revenue de ce couronnement désastreux. Et encore, bel euphémisme. Depuis je ne peux me reposer une seconde, réfléchir sans être bafoué par une multitude de pensées plus difficiles à gérer les unes que les autres. Trop de nouvelles, trop de changements soudains qui me poussent à remettre en question Asmosa en elle-même. Une fille, une probable guerre, une belle manipulation que je dois mener à bien. Un fin soupir se libère de mes lèvres dès lors que j'arbore cette pensée. Je ne dois point incliner le menton. Je vaincrai, sans nul doute.

Mais aujourd'hui je me dois, je me permets de ne pas intervenir. En cette belle journée je ne suis que Sir Oberon, pas un roi, pas un souverain mais un simple habitant de la nation des mages. Bien qu'escorté par des gardes à une certaine distance de ma personne, je me contente de me promener dans les rues. Le regard bleuté passe d'un point à un autre de ma capitale. Les mains jointes dans le dos, un livre placé dans l'une d'elles, je rôde en direction du port. De petits mouvements de menton, je salue les habitants qui eux s'inclinent vers moi. Le luxe de ma noblesse, de mon sang. Bien que normal, cela est bien agréable, je ne m'en cache point. D'ailleurs, un léger rictus jonche ma bouche, l'expression neutre quant à elle. Mais je ne m’interromps pas, non, je m'avance sans m'arrêter en direction d'un lieu surélevé, celui que j'affectionne. Les coudes sur la rambarde en pierre, je débute ma lecture tout en étant la cible des regards des passants.   

La lecture est une activité agréable, un moment de paix dans lequel, même un souverain comme ma personne peut se changer les idées, se laisser aller à d'autres pensées sur de divers sujets. Accoudé à cette rambarde de pierres blanches, le livre ouverts au sein de ma main droite, je débute les premières pages. Le buste un brin incliné en avant, je suis courbé. Agréable, relaxant. Je mène ma main à la page afin de la retourner, de passer à la suivante mais me voilà interrompu. Une voix puis une soudaine présence. Me redressant, le livre à la couverture dorée se clos d'un petit son sec , le corps effectuant une légère rotation afin de me retrouver face à l'invité. Droit, j'arbore ce port de tête fier et royal que j'aime tant employer face à la population. Ainsi doit être un souverain, fier, sûr de lui.

Le regard est indomptable, soudain il passe de haut en bas sur le boulanger présent en face de moi. Je ne peux le retenir, il va et vient avec furtivité afin de me donner une idée sur lui. Inconnu c'est certain. Les mains se joignent finalement dans mon dos, l'ouvrage encore et toujours empoigné, présent dans l'une d'elles. « En voilà une agréable attention. » La libre se tend vers le pain que j'attrape. L'odeur est agréable, succulente même. « Vous ne me dérangez point, Altair. Je présume que me présenter n'est point utile. » Un sourire surgit sur mes lèvres, léger, en coin tandis qu'il prend la parole au sujet des soldats. « Aucune inquiétude, ils sont mon bouclier mais jamais je n'ai vu un tel objet agir tout seul, je reste la tête de tout. Et je décide que vous pouvez rester. » Le rictus s'accentue un peu puis disparaît, le regard interrogateur vers lui sans sourciller. « Mais je suis intrigué, n'êtes-vous là que pour me donner une gourmandise ? »

Un simple habitant de ma nation. Un banal boulanger de la capitale de Belvar. Je suis habitué, peu dépaysé par ce genre de rencontre car souvent ma présence attise les moult intérêts de nombreuses personnes. La dure loi d'être un souverain aussi respecté, que voulez-vous. Mais lui, oui lui me laisse un brin perplexe sur le moment. Ce sourire, cette décontraction qui semble habiter le boulanger ; en voilà un fait peu commun chez mes concitoyens dès lors qu'ils se retrouvent devant moi. Non pas que je fasses naître la peur mais c'est une réaction tout à fait humaine. Être en présence d'un individu au dessus de vous dans la chaîne sociale ne doit pas être plaisant. Déposant l'ouvrage sur la rambarde à présent derrière moi, je me permets de goûter un morceau du pain offert par mon vis à vis. 

Attentif, je l'observe donc tout en profitant du goût délicieux du présent. Agréable au palais, vraiment. Je ne pensais pas qu'une autre personne que mon cuisinier personnel soit capable d'un tel talent. Une fois la bouche vide, je reprends donc la parole, joignant à nouveau mes mains dans mon dos. « Oh mais votre honnêteté ne me surprend guère. Je suis habitué à longueur de temps vivre des actions toujours intéressés. » Depuis longtemps déjà les choses sont ainsi, pour ne pas dire depuis ma naissance. Mes années à l'école de magie ou bien les débuts de mon rang de souverain ; le quotidien en somme. Puis un rire. « La franchise ne vous fait pas défaut au moins. C'est une bonne chose. En revanche, je pourrais le permettre de vous demander un salaire. » Je m'avance dans de petits pas, m'arrêtant non loin de lui. « Mais que voulez-vous exactement, je ne peux vous annuler vos impôts cela serait mal vu par vos voisins Asmosien. » A nouveau, un léger ricanement se fait entendre.

Je ne peux m'empêcher, me retenir de prendre une nouvelle bouchée de ce pain. C'est indéniable, cet Altair est doué dans son domaine, nul ne peut se targuer de pouvoir affirmer le contraire. Et pourtant, une sensation amère semble comme présente dans ma bouche, dans le goût que j'apprécie pourtant. Cet air, cette attitude qu'il use en ma présence ; je n'ai que trop pu la rencontrer ou la constater durant toute mon existence. Être à l'aise est un point crucial, une denrée rare de nos jours, surtout en face de la royauté mais, car il y a toujours un mais, trop est aussi synonyme de secrets, de méfaits. Nul Asmosien ne peut être considéré comme un traîtres, les miens sont les individus les plus purs et loyaux de ce monde, j'en suis convaincu et mes ancêtres l'étaient eux aussi avant moi.

Le faciès que j'arbore ne traduit pas du tout cette impression, je me contente de rester neutre face à lui, comme le ferait un roi lambda en présence d'un sujet. Déposant au final le pain non loin de mon ouvrage, je joins les mains dans mon dos tout en me plaçant à nouveau en face de mon interlocuteur. Un pas puis un second, je m'approche un peu de sa personne tout en ne laissant pas le regard le quitter, pas un instant. « Tout est possible dans notre nation ne pensez-vous pas ? Mais évitez de prononcer le nom de Vaec devant moi. » dis-je avec un mouvement évasif du menton. Oui, je hais ce genre de remarque, les références à la religion mais personne n'est apte à cerner pourquoi. Restez dans l'ignorance pour votre tranquillité. « Devenir le fournisseur attitré n'est pas une chose impossible mais Altair dites m'en d'avantage sur vous. Êtes vous natif de mes terres ? »  

Jamais je n'ai refusé de tendre la main aux habitants de ma nation. Surtout pas. Les Asmosiens méritent le mieux et les plus méritants sont tous apprêtés à pouvoir un jour rejoindre le château de la capitale pour servir le dirigeant en personne. Cet Altair ne fait pas défaut, je n'en doute pas. Son pain est délicieux et son allure très acceptable. Pour autant, je ne peux tolérer de souiller mon lieu de vie, le symbole de la prestance du pays des mages par la présence d'un étranger entre les murs. Je ne peux l'expliquer mais ce rejet est comme une sensation indomptable. Puissante et soudaine je ne peux cerner ce vif dégoût capable de m'envahir. Le regard dans le siens, mon attention ne quitte plus mon interlocuteur dès lors que je le questionne pour en savoir d'avantage sur ses origines. Le faciès pensif, il offre une réponse sans prendre de pincettes. Le couperet tombe enfin, la nouvelle m'assaille.

La tête se penche un peu sur le côté droit, une légère grimace se fait ressentir, mon nez légèrement plissé. Pas un mot, je n'use d'aucun mot préférant le silence sur l'instant. Lui, il s'explique du mieux qu'il peut afin de se dépatouiller de cette vérité qu'il a préféré avouer. Ce qui n'est pas plus mal d'ailleurs. Un jour ou l'autre, la vérité aurait éclatée à mes oreilles, je n'en doute pas et en suis certain. Un soupir puis je m'avance d'un pas vers lui, les mains toujours jointes et figées au bas de mon dos. « Je ne comprendrais jamais le talent de Kireïde pour perdre ses meilleurs éléments. Quelle tristesse. Mais. » Droit, fier je le fixe. « Pour en revenir à votre histoire. Je ne vais pas vous cacher vivre une réelle déception à cette annonce. Je ne vous perçois plus de la même manière. Cependant, je vous laisse une chance de m'expliquer le pourquoi vos parents ont décidé de venir dans mon pays. Cette décision m'intriguera toujours. »