Seul. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas déplacé en solitaire. C'était... rafraîchissant. Des souvenirs me revenaient d'une période qui semblait tirée d'un autre temps. Un temps où le palais d'Helios était entier, où j'officiais comme conseiller, où j'étais auprès de celle que j'aimais, où je pratiquais la magie...
Une autre vie dont j'avais laissé bien des aspects derrière-moi, tout en espérant ne pas les avoir tous sacrifiés.

C'était de ce passé que me venait l'idée que je voulais mettre en place. La méthode ne fonctionnerait certainement qu'une seule fois et pour un temps limité, mais elle serait sûrement très impressionnantes. Assez pour qu'ils me cèdent Kireïde ? Je l’espérais.

Selon la carte des lignes géomantiques tracée quelques années plus tôt de ma main, cet endroit serait parfait pour compléter le schéma et toucher toutes les grandes agglomérations à la fois le moment venu.

J'attendrais la nuit pour m'occuper de placer les relais cristallins, en attendant, pourquoi ne pas trouver un endroit où me reposer ?

J'avisai une blondinette au loin, sûrement une villageoise du coin, et l'appelai :

« Excusez-moi, mademoiselle, connaîtriez-vous une bonne auberge dans les environs ? »

Voilà bien une situation peu banale. Quelles étaient les chances qu'une telle rencontre se produise ? Une sur mille ? Moins encore ? La laissant parler, je lui emboîtai le pas, réfléchissant.

« Surprenante rencontre que celle-ci, en effet. Et non, même en ayant renoncé à la sorcellerie je suis toujours suffisamment riche pour éviter les chasses aux trésors. Je travaille à la seule cause qui en vaille la peine, la prospérité de Kireïde. »

Inutile d'en dire plus. Même en n'ayant rien à craindre, le domaine sur lequel se basait mon projet n'aurait intéressé qu'un mage de terre ou un érudit profondément versé dans la nature de la magie. J'allais certes avoir besoin de mages blancs pour mener le projet à bien, mais je préférais me reposer sur l'Ordre du Culte que sur son aide à elle. Le projet touchait tout de même à un sujet extrêmement sensible pour un ancien membre de la royauté comme elle.

« Quant à Naeglind, oui, j'en fais bon usage. Elle semble apprécier de faire couler le sang des monstres. C'en est presque triste de devoir la rendre une fois les conflits terminés... »

Cette conversation avait quelque chose d'étrange. Elle n'aurait pas dû prendre les choses avec autant de légèreté et cela me perturbait bien plus que je ne le laissais paraître.

Toujours cette même incompréhension. Je ne suis pas un roi, je suis un seigneur de guerre. Et sans guerre, je n'ai nulle raison de m'accrocher au pouvoir. Je peux mener Kireïde dans un conflit, je peux lui donner toutes les cartes pour la victoire et ensuite les jouer pour elle avec une expertise qu'une pauvre mage stéroïdée ne pourra jamais égaler. Poser mon cul sur un siège dont le prix suffirait à mettre un terme à la pauvreté dans la capitale et assister à des mondanités n'est absolument pas dans mes projets.

« Je ne veux pas d'une couronne ou d'un trône. Je veux une Kireïde libre et sûre et, pour cela, elle a besoin d'un meneur qui sache prendre les bonnes décisions et la mener dans cette guerre inévitable qui l'attend. Une fois la paix obtenue, si un leader digne de ce nom se présente, je lui céderai volontiers le pays. »

Concernant Miseriah, je l'avais sentie plus que croisée et sa puissance magique était certes grande, mais mon premier réflexe avait été de vouloir mettre un terme à son existence. A raison, elle n'était qu'une aberration, un monstre de plus qui n'aurait jamais dû fouler la surface du monde.

« J'ai ressenti son pouvoir lors du couronnement et il est possible qu'elle dispose d'une force suffisante pour exaucer ton souhait. Mais elle est si puissante qu'il n'existe rien en ce monde que tu puisses lui offrir en échange de ce service. Au vu de sa cruauté, même si elle t'accordait ton vœu, elle serait capable de les mettre à mort une nouvelle fois sous tes yeux. »

Sa quête n'était peut-être pas impossible. Je n'y avais pas trop songé lorsque j'avais rencontré Anastasia. Peut-être connaissait-elle un moyen, elle.

Effectivement, le passage est trop réduit pour que je m'y tienne debout. Je décroche le fourreau de ma lame pour m'accroupir sans qu'il ne me gène, le tenant en main tout en la suivant et en écoutant.

Bien sûr, elle ne croit pas à notre victoire. Il fut un temps où je n'y aurais pas cru moi-même. Où j'aurais misé sur l'assassinat comme seule méthode viable. J'avais découvert d'autres choses depuis et un espoir existait. Nous avions des chances de victoire plutôt honorables, en fait.

« Je ne suis pas d'accord. Il existe des forces aussi anciennes que Kireïde, peut-être plus, et qui sont capables de nous apporter la victoire. La source de son pouvoir est sa plus grande faille. »

Comment expliquer cela ? Je ne suis même pas certain de l'origine de mes propres capacités, juste qu'il ne s'agit pas de sorcellerie. Il est difficile d'expliquer les talents dont disposent les tacticiens. Je n'en ai pas rencontré d'autres avec lesquels comparer mes notes, jusqu'à présent.

« Crois-tu que je puisse me lancer dans une bataille que je considère comme perdue d'avance ? Que j'aie renoncé à la magie sans contrepartie ? Allons, tu me connais mieux que ça. »

Contre quoi ai-je renoncé à la magie ? Une sensation, une force difficile à mesurer tant qu'on ne l'a pas vue en action. Pas si difficile à décrire simplement, pourtant.

« Tu te souviens de ces histoires sur les généraux du passé ? Ceux qu'on prétendait capables de lever une armée en un rien de temps ? De surprendre leurs adversaires par des embuscades impossibles ? De jauger un homme d'un seul regard ou encore d'instiller la peur dans le cœur de leurs ennemis ? Ce ne sont pas des histoires. »

Un pouvoir ancien, discret, inattendu et sans rapport avec la sorcellerie. Telle était l'arme secrète de Kireïde. J'étais peut-être le premier à m'être manifesté, mais d'autres viendraient, c'était une certitude. Je n'avais pas entendu les mots murmurés, trop faibles pour être entendus. Pourtant, ceux qui furent les miens ensuite étaient presque comme une réponse.

« Le royaume a encaissé jusqu'à présent, mais le temps de riposter approche. »

Et ensuite, si nous en avons la force, nous aurons des comptes à régler avec l'un de nos voisins.

Elle pouvait appeler ça "magie" si elle voulait, je n'étais pas réellement convaincu que le terme soit exact. Il y avait des aspects clairement surnaturels, mais encore une fois, le sujet était ardu à développer sans y consacrer un temps que je n'avais pas ou trouver d'autres tacticiens.
Quant aux rebelles des autres royaumes, il y avait un léger souci les concernant.

« Le problème, avec les rebelles des autres nations c'est qu'ils sont trop occupés à tenter de préserver la leur pour aider la nôtre. Je doute qu'Ilmyde nous vienne en aide et l'idée de leur demander me répugne. Belvar est inaccessible et j'espère que le dôme qui la protège restera encore en place un moment, au moins, tant qu'il est là, nous savons où est la sorcière. Je me suis déjà rendu à Sollvaec. Ces gens ont plus besoin de nous que l'inverse, mais nous avons pu exfiltrer Anastasia. »

A ce propos, il y avait cette possibilité qui pourrait s'avérer payante sur le long terme, le moment me semblait bienvenu pour la mentionner.

« D'ailleurs, si tes projets n'ont pas changé, elle pourrait certainement avoir des pistes, voire une solution à te proposer. »

Je pousse un léger grognement, lui faisant signe de reculer un peu sa torche, avant d'accéder à sa requête.

« Elle n'avait pas l'air très en forme, mais je pense que si quelqu'un sait quelque chose à ce sujet, ce doit être elle ou l'une de ses connaissances. »

Je retiens sa seconde phrase, une sorte de constatation à moitié vraie seulement. Anastasia n'est que l'ombre d'un leader. Si certains continuent à la considérer comme leur sainte et à la suivre, elle ne semble pas être réellement en état de gouverner.

« A ma connaissance, il n'y a qu'elle qui soit plus ou moins cela. Et encore... Je ne sais pas comment se déroulent les choses en Ilmyde. Nabérius serait tombé comme les autres et il a sûrement été remplacé par un pion aux ordres de la sorcière à l'heure qu'il est. Je m'étonne d'ailleurs qu'elle n'ait pas tenté de faire de même chez nous... »

Elle joue. C'est ma conclusion à ce sujet, pour l'instant. Elle a besoin d'un adversaire concret sinon les choses ne seraient pas amusantes pour elle. Dans son arrogance, elle se croit assez forte pour venir à bout de Kireïde à n'importe quel moment. Cela causera sa perte.

Son plateau de jeu ? Elle était une piètre joueuse qui n'avait su opérer les bons choix. A sa place, j'aurais directement écrasé Kireïde. Un bon général de cherchait pas les défis, mais une victoire avec le moins de pertes possibles. Profiter de la décapitation de notre nation pour l'achever immédiatement aurait été le meilleur choix possible. Ne pas l'avoir fait, une erreur monumentale.

« Quel dommage qu'elle n'en connaisse pas toutes les règles... Pour elle, en tout cas. »

Léger sourire de ma part. Certains me pensaient orgueilleux, voir mégalomane ou tout simplement bercé d'illusions. Qu'ils pensent ce qu'ils veulent, je savais où j'allais et j'obtenais des résultat. Pour le moment mineurs, mais une fois mis ensembles, ils permettraient de mettre en branle une machine de guerre apte à écraser sans merci la sorcière et tous ses séides...

Concernant la prétendue sainte, c'était compliqué. Pas que je ne veuille pas donner l'information à Theena, mais je craignais qu'elle ne soit rapidement périmée.

« Je pourrais te donner sa dernière localisation connue, mais rien ne garantit qu'elle y soit toujours. »