C’était une journée comme les autres à Ambriosa. Les rues grouillaient de vie, et comme chaque matin, les marchands scandaient les mérites de leurs étalages. Les habitants se pressaient devant les stands, sous le regard impassible de Warren. Stoïque, il profitait de l’ombre d’une bâtisse pour observer de loin tout ce petit monde. C’était une vision agréable. Même dans les pires moments, la vie était capable de se montrer sous son plus beau visage. Parfois même, des rires résonnaient au loin, arrachant un sourire mélancolique au mercenaire. Oui, c’était une vision agréable. Pourtant, Warren était songeur. Depuis quelque temps, Ambriosa était devenue une terre d’asile pour les survivants. Une action noble, mais non sans conséquence. La ville était en train de gonfler comme un fruit se gorge d’eau. C’était une situation précaire, et assurer la survie de la ville allait être chose difficile. C’était justement la raison pour laquelle Warren était ici : offrir une aide supplémentaire pour mener à bien cette tâche. Pourtant, une épée était bien incapable de résoudre les problèmes d’une cité. Warren soupira longuement, puis se dirigea vers l’étale le plus proche pour acheter quelque chose à manger. Une vulgaire pomme, à la chaire tendre et sucrée. Ce fut après une première bouchée que deux hommes se présentèrent à lui, déclarant qu’il était attendu par le chef du hameau. Silencieux, Warren considéra l’information en croquant à nouveau dans sa pomme. Puis, il emboîta le pas des messagers, se dirigeant vers le bureau du dirigeant local. C’était une requête impromptue, et particulièrement précipitée, jugea Warren en observant ses guides. Ils semblaient nerveux, peut-être soucieux. Toutefois, Warren se garda de les interroger, préférant entendre la vérité sur cette histoire de la bouche du principal concerné. Il se retrouva finalement devant la grande porte, et fut annoncé au maître des lieux. Une cérémonie bien pompeuse, mais Warren se garda de tout commentaire. Il poussa simplement la porte, pénétrant dans l’antre, et se retrouvant face au fameux dirigeant.

« La chaleur vous incommode ? »

Son inconfort était visible, pourtant, aucun reproche dans la voix de Warren. Peut-être une pointe de moquerie, guère plus. Le mercenaire demeura néanmoins impassible. Il n’était pas en position de le juger, lui prétendant être originaire de ces terres. Et quand bien même, là n’était pas la raison de sa venue. Sans perdre son sérieux, Warren s’approcha, refermant la porte derrière lui. C’était une affaire sérieuse, car seules les affaires importantes requéraient les services d’une épée. Une bataille était à supposer, mais après tout, la guerre était désormais le métier de Warren. Pour cette raison, il abandonna toute courtoisie triviale, et se focalisa sur la raison de sa venue en ces lieux. Il décida donc de faire tomber ce rideau tissé de mystères, entrant directement dans le vif du sujet.

« Je suppose que vous avez besoin de mon épée. Que se passe-t-il ? »

Sérieux, franc et perspicace. Toutefois, la nature de la menace était encore inconnue du mercenaire. Les hypothèses étaient nombreuses, mais inutiles. Désormais, il devait se concentrer sur deux choses : la nature du problème, et son rôle à jouer dans cette histoire.

Pour toute salutation, le maître de la ville avait adressé un simple signe de la tête au mercenaire. Nul besoin de s’égarer dans une politesse triviale, pas avec un homme comme Warren. Il était venu ici pour une raison précise. Néanmoins, le commentaire de Warren sur la température des lieux arracha quelques mots à son hôte. Celui-ci avoua combien cette température était désagréable, mais c’était là un problème bien au-delà des compétences du mercenaire. Pour cette raison, Warren se contenta d’un regard compréhensif, puis se concentra sur des choses plus importantes : la menace à affronter. Les informations furent claires et succinctes. Plusieurs monstres, affluant la nuit vers une oasis. Warren afficha une expression soucieuse. Une cohésion de monstres était une menace particulièrement sérieuse, suggérant une meute, ou pire encore, une conscience commune guidant ces créatures vers Ambriosa. Mais ces hypothèses étaient peut-être sans fondement. Même si Warren refusait de croire au hasard, il fallait admettre que les monstres formaient une entité encore inconnue. Il était impossible de lire leurs gestes avec discernement. Puis, le mercenaire posa son regard sur Veddyn. Certains éléments étaient encore brumeux, à commencer par le nombre de ces créatures. Pourtant, ils devaient repousser ces monstres sans plus tarder. Le risque était important, mais pas autant que celui encouru si les rangs adverses venaient à croître. Les pensées se bousculaient dans l’esprit du soldat. Puis, le chef du hameau exposa sa tactique : dépêcher un groupe de combattants, et profiter de cette occasion pour constater leurs talents respectifs. Warren releva cette dernière information, une lueur d’intérêt dans le regard. Il esquissa un sourire discret, glissant d’un ton neutre :  

« Vous comptez nous jauger. Dois-je comprendre que vous serez des nôtres ? »

Sa voix était posée, mesurée, comme si chaque parole était destinée à percuter son auditoire, sans jamais s’enorgueillir. Warren resta pensif un instant. Pour protéger cette ville, il était indispensable de connaître ses forces et ses faiblesses. Cette initiative était une occasion idéale. Ceci étant, le mercenaire avait encore quelques questions.

« Qui allez-vous enrôler ? Des volontaires ? Des soldats ? Il  croisa les bras. Les rebelles qui sont en ville pourraient être un renfort supplémentaire… Puis, il leva le regard vers le maître des lieux. J’aimerais juste savoir à quoi m’attendre. »

Warren laissa l’un de ses bras tomber le long de son corps, et posa l’autre contre sa hanche. L’atmosphère étouffante de la pièce était désagréable, s’immisçant dans les pensées du mercenaire. Il oublia un instant les différents aspects de la bataille à venir, et s’attarda sur une question beaucoup plus essentielle.

« Quand partons nous ? »

Discuter stratégie était dans les cordes de Warren, comme de nombreuses autres tâches. Néanmoins, il jugea préférable de commencer par le commencement, pour être en mesure de se préparer pour la bataille.

Observer avec objectivité les atouts et les faiblesses de chacun, puis orchestrer ces éléments dans un immense puzzle. Organiser une ligne de défense aussi efficace que possible, une barrière humaine absoute de toutes les règles du hasard. C’était la tâche de chaque commandant, et Warren retrouva cette logique dans les paroles de son hôte. Il était face à un homme capable de réaliser le poids sur ses épaules, et peut-être même capable de le supporter. Warren regarda avec estime le mage face à lui, avant que ses pensées ne se dirigent vers un tout autre sujet : la sorcière. Ce mot était dans toutes les bouches, marqué au fer rouge dans les cœurs et les esprits. Pourtant, ni lames ni sorts ne semblaient capable de lui ôter la vie. Parfois, Warren avait l’impression de livrer bataille contre un démon, une créature intouchable capable de ravager le monde sans même quitter son trône. Le mercenaire soupira discrètement, écoutant les paroles de son hôte, ses pensées retournant à la présente bataille de l’oasis. Ils formeraient une troupe hétéroclite, désignée avec soin. Un groupe mut par une conviction commune. Warren acquiesça de la tête, sans insister sur l’éventuelle présence du mage. Puis, celui-ci entra dans le vif du sujet, évoquant la menace aux portes de la ville. Son jugement concorda avec les hypothèses de Warren : ce regroupement était tout, sauf un hasard. Puis, une question tomba. Une question lourde, tranchante et sérieuse. Une question que chaque habitant était susceptible de se poser, depuis que les choses avaient basculé. Warren soutint le regard de son interlocuteur, puis se tourna vers l’extérieur.

« C’est justement pour cette raison que je suis venu ici. »

Le regard du mercenaire s’égara quelques secondes. Puis, il croisa les bras et s’adossa contre un meuble, face au chef du hameau. C’était une question importante, et pourtant, il hésita. Il toisa le mage, puis il décida de jouer cartes sur table. Le moment était mal choisi pour faire des mystères, et le mercenaire se justifia, préoccupé.

« Je compte bien prendre les armes contre la sorcière, mais nous ignorons encore trop de choses… Je suis venu à Ambriosa pour me rendre utile, et pour m’assurer que la ville était sous bonne garde. Il esquissa un sourire discret, puis continua. Mais je refuse d’attendre sagement que la sorcière vienne à nous. Quand la situation sera plus stable, j’aimerais mener un petit groupe au travers du pays. Je veux attiser cette flamme rebelle qui est née à Ambriosa, et la répandre sur tout Meinarest. »

Unifier le monde sous la bannière de la liberté, et faire souffler un vent de révolte dans le cœur de chaque ville, de chaque être. Naïveté ou audace ? La réponse viendrait avec le temps. Mais pour le moment, il était primordial d’assurer la protection d’Ambriosa. Au moins le temps que les défenses de la ville se mettent en place. Le visage solennel, Warren se redressa.

« Je suis prêt à me battre. Et vous ? Vous qui portez le poids de toutes ces vies, que comptez-vous faire ? »  

Warren était une âme isolée, mais le mage, lui, était à la tête de toute une ville. Il avait dans le creux de la main la vie de chaque habitant. Peut-être même plus encore, considérant la récente importance de ce petit hameau. Le mercenaire le fixa du regard.

La sorcière s’était emparée du monde une première fois. Un claquement de doigt, et un pays s’était effondré à ses pieds. Un ordre, et les contrées voisines avaient été ravagées par son armée. Parfois encore, Warren était en proie au doute. Les rebelles seraient-ils vraiment en mesure de bouleverser l’ordre des choses ? Était-il vraiment possible de faire tomber la tête de la sorcière, et de vaincre son armée ? Mais à chaque fois, le mercenaire était assez fou pour le croire, et était prêt à se battre pour cette cause. C’était une bataille pour le monde, une guerre pour chaque être vivant. Plusieurs fois pourtant, Warren s’était sentit seul face à cet immense champ de bataille. Mais quand les paroles de Veddyn résonnèrent, le mercenaire réalisa que cette personne face à lui était peut-être un allié de choix dans ce combat. C’était un homme capable d’embrasser la cause d’un village, et de prendre sur ces épaules le fardeau d’un civilisation. Un homme de principe, et peut-être même un homme de confiance. Toujours fut-il que durant un instant, Warren ne regarda pas Veddyn comme le chef de ce hameau, mais comme un homme digne et courageux. Le mercenaire écouta son hôte sans broncher, et quand celui-ci souligna que cette bataille serait une occasion pour lui de prouver sa force, Warren répondit d’une voix claire.  

« Je ne doute pas une seule seconde de votre force. Je voulais juste m’assurer du rôle que vous comptez tenir dans cette guerre. »

Désormais, les objectifs de chacun semblaient évidents. Warren avait clairement exposé son intention de faire campagne à travers le continent, et après une brève seconde, il décida de revenir sur la réponse que son interlocuteur avait apportée à ce sujet.  

« Vous savez… Je serais honoré de traverser les terres avec un homme comme vous à mes côtés. Warren planta son regard dans le sien, sincère. Puis, il regarda vers l’extérieur. Mais pour l’heure, je suis convaincu que ce village a besoin de vous. »

C’était là le ressentit du mercenaire, rien de plus. Il fit ensuite quelques pas, et fixa l’extérieur. Chacun avait sa place dans ce conflit, mais il était impossible de la connaître avec exactitude. Warren lui-même espérait que ses idéaux allaient le guider vers le rôle qui était le sien. Il inspira profondément, puis se tourna vers le chef du village.

« J’aurais une question à vous poser. Pensez-vous que ce pays pourra vaincre la sorcière à lui seul ? Warren marqua une pause. Il hésita, puis décida de parler sans retenue. J’ai du mal à imaginer une victoire sans alliance avec les rebelles de chaque nation. »

Chaque parole était mesurée avec soin, comme des aveux à demi-mots. Pourtant, la véritable pensée de Warren était simple : coopérer avec les Algiz. Depuis longtemps déjà, le mercenaire était persuadé que la victoire était possible à la seule condition que des rebelles  de chaque pays coopèrent ensemble, telle une entité commune, absoute de tout préjugé, et de toute forme de rancœur entre humains et algiz. Une idée folle pour certaine, salvatrice aux yeux de Warren. Mais les deux camps accepteraient-ils de marcher côte à côte ? C’était là la réponse attendue par Warren. Une réplique, ou pourquoi pas une réaction pour connaitre l’avis de son hôte concernant cette hérésie. Une pensée qui aurait jadis coûté chère. Mais à l’heure actuelle, pouvait-on se priver d’une lame pour une simple hérésie ?

Warren avait combattu tout au long de sa vie. Durant une bataille, chaque coup d’épée était un instant déterminant, une seconde à mi-chemin entre la vie et la mort. Il aurait été de mauvaise foi de prétendre que les compétences de guerre étaient inutiles, et pourtant, là n’étaient pas forcément les clefs de la victoire. Warren avait vu des combattants terrifiants tomber sous les coups, ainsi des armées, inférieures en nombre, mettre des plus grandes en déroute. Un élément était latent à chaque bataille, décisif : la bravoure des Hommes sur le front. Jouer de la magie ou faire danser une lame était une chose, mais sans courage, sans un allié de confiance, la mort était la seule issue. Warren avait toujours été idéaliste, convaincu de ce dogme. Bien entendu, la victoire n’était jamais assurée, même à ceux dont la confiance ou le courage étaient inébranlables. Toutefois, elle était immédiatement arrachée à quiconque hésitait une fois venu le moment de se battre. Ainsi, Warren fixa son hôte quelques instants, avant de répondre du tac-au-tac.

« Il est vrai que je ne vous ai jamais vu face à l’ennemi. Il marqua un silence, puis, haussa les épaules. Un sourire subtil glissa au coin de ses lèvres. Mais n’importe qui peut apprendre à se battre. En revanche, tout le monde n’est pas prêt à faire front face à l’armée de la sorcière. »

Mais les paroles suivantes intriguèrent d’avantage le mercenaire. Un chef temporaire, qui en était venu à diriger cette ville par le fruit du hasard. Warren resta dubitatif, mais néanmoins silencieux. Ce doute de la part de son hôte le laissa perplexe, comme s’il était face à une fenêtre ouverte sur ses pensées véritables. Pendant un instant fugace, toute l’assurance et le flegme de Veddyn s’estompèrent, donnant un sens à ces hésitations qui avaient ponctuées la discussion. Ces quelques phrases, Warren les garda en mémoire. Puis, le mercenaire posa une question importante, dont la réponse était capitale, car elle allait directement influencer le cours des événements. Le mage parla sans détour, rejoignant rigoureusement les idées déjà établies dans l’esprit de Warren. Les rancœurs du passé… Warren marqua un soupir inaudible, avant de poser son regard vers l’extérieur. Mais le rire, puis la question qui ponctuèrent ce discours attirèrent l’attention de Warren. Unifier le monde, une tâche difficile… C’était en effet un euphémisme. Il croisa les bras.

« Vous êtes perspicace. La haine est un adversaire tenace, et j’ignore ce qui se pense aujourd’hui, hors des frontières de ce pays… Gageons que le reste du monde partagera votre avis. Sans quoi, cette guerre n’aura pas le moindre sens. »

Néanmoins, le mage avait soulevé un point important. Outre l’armée de la sorcière, elle était à elle seule une menace assez dangereuse pour faire frémir les plus grands héros de l’histoire. Quand bien même défaire son armée aurait été possible, la vaincre elle allait être une tâche au moins aussi ardue. Warren soupira doucement. Mais chaque chose en son temps : il fallait commencer par le commencement. Le mercenaire planta son regard dans celui de Veddyn, son esprit toujours intrigué par le discours du mage concernant son ascension en temps que chef. Il décida alors de jouer la carte de la franchise.

« J’ai encore du mal à croire que vous êtes devenu chef de ce hameau par la seule force du hasard. Non pas que je remette votre parole en doute, ajouta-t-il avec un fin sourire. Mais je connais peu de personne prête à devenir la cible de la sorcière par un simple concours de circonstances. Le visage neutre, Warren haussa les épaules. Peut-être était-ce ce dont Ambriosa avait besoin : une personne prête à endosser ce fardeau. »

Puis, il posa son regard sur le mage. Warren n’était pas genre d’homme à flatter, et pourtant, il avait beaucoup de respect pour le choix du mage de prendre la tête du hameau, quand bien même il deviendrait la cible de la sorcière. Peut-être était-ce le fruit du hasard, et peut-être était-il un choix temporaire. Peut-être n’était-il qu’un étranger ici, au même titre que Warren. Mais toujours était-il qu’il avait assumé ce rôle, quand personne d’autre n’était prêt à le faire. Ces doutes étaient légitimes, mais à l’heure actuelle, les actes  pesaient eux-aussi leur poids dans la balance.