Au service de Sa Majesté

Mes bottes claquaient sur le dallage de marbre des couloirs alors que j'approchais de ma destination. Être appelé au palais royal de Kireïde, tout un programme. Si seulement la raison de ma présence ici m'était connue. Mais on ne refuse pas une convocation de Sa Majesté, encore moins lorsqu'elle est présentée dans les formes sur parchemin signé et apportée par un messager accompagné de deux des gardes d'élite du palais. Enfin, "élite" il faut le dire vite. A se demander ce qu'ils foutaient le jour du Grand Complot....

Et nous y voilà. Les portes s'ouvrent et un quelconque valet se charge de m'annoncer. Arlan de Kireïde ? Je ne pensais pas que la dissimulation de mon nom de famille aurait résisté aux enquêteurs royaux. Mais nous ne nous en servions jamais, père et moi. Pas de lien facile à trouver, pas de risques pour la famille. Le pragmatisme du Commandant Adrian, mon paternel.

Me rappelant des mes cours concernant l’étiquette, je m'avance jusqu'à la distance prescrite et pose un genou à terre.

« Votre Altesse Royale. Conseiller. Que me vaut l'honneur ? »

Le ton reste ferme, direct, purement formel. Il ne s'agit pas d'être obséquieux, je ne le suis jamais. Je laisse ce genre de chose aux courtisans. Au fond de mon âme, je reste un soldat.

Trop beau pour être vrai

Une nourrice. Je réprime un sourire à cette appellation, conscient de devoir prêter attention à chaque propos des deux intervenants. Elle n'est pas très heureuse de cette situation, la petite princesse. Comment lui en vouloir ? A sa place peu de gens le seraient. Je conçois que cela soit pour son bien, cela dit. Elle aimerait que je refuse, mais elle doit savoir que si ce n'est moi, ce sera un autre. Et je préfère largement être dans cette position que d'y laisser un homme moins intègre. Trop de traîtres vivent déjà dans l’entourage des puissants.

« Merci pour ces explications, conseiller. »

Un instant de réflexion. Mes questions devront être choisies avec soins. Car j'en ai une flopée. Pas sur le salaire d'une telle fonction. Il doit être élevé, suffisamment pour assurer ma loyauté au cas où d'autres tenteraient de me corrompre. Ce n'est pas nécessaire. Tant qu'ils me donnent de quoi vivre correctement sans devoir piocher dans mes économies, je pourrai assurer la fonction. Laissons-les penser qu'ils peuvent me tenir par l'argent, si ça leur chante, mais évitons le sujet pour l'instant.

« Une question, oui, concernant ma fonction réelle. Décrivez-la moi en détails, sans rien omettre. »

Conseiller et chef de la garde personnelle d'une princesse de Kireïde, c'était plutôt vendeur, mais je ne voulais pas d'un rôle de domestique - ou de nourrice, pour reprendre les termes de l'intéressée - enrobé de titres accrocheurs.

Chevalier de la Rose ?

J'éclatai de rire devant ce spectacle et l'échos de la grande salle rendit cela plus long et bruyant encore dans le silence relatif de mes interlocuteurs surpris. Elle me plaisait bien, la petite. Un sacré tempérament.

« Je vais être clair, là où vous êtes flou. Je ne suis pas un majordome, je ne suis pas une nourrisse, je ne suis pas un professeur et encore moins un espion. Vous voulez que je sois le conseiller de Son Altesse ici présente, que je dirige sa garde personnelle. Et j'accepte volontiers de faire tout cela... »

Oh, quelle perversion animait mes pensées lorsque cette réponse passa la barrière de mes lèvres ? Je ne saurais le dire, mais une part de mon être se réjouissait d'avance de la mine déconfite qu'allait faire le conseiller au moment où je clôturerais cette phrase.

« ... Mais je n'aurai de comptes à rendre qu'à elle et elle seule. C'est à prendre ou à laisser. »

C'était audacieux, c'était un pari, c'était une manœuvre stratégique. Porterait-elle ses fruits ? Je n'allais certainement pas tarder à le découvrir. En tout cas, elle était censée les surprendre tous les deux et j'espérais bien réussir sur ce point. L'effet de surprise était toujours un atout. Et si je pouvais négocier ce job à mon avantage, tout le monde s'en porterait bien mieux.

Une alliance fructueuse ?

Voir le conseiller se faire moucher par la princesse était sans prix. Le genre de moment qui méritait d'être immortalisé. Finalement, l'audace avait payé. Ce conseiller portait la marque de Phoebus et devoir servir le roi en prétendant servir la princesse était assurément se placer dans une mauvaise position. Au moins, maintenant, mon allégeance était claire et nette. Si j'avais simplement suivi le mouvement, elle m'aurait considéré comme une gêne. Si je devais la conseiller et la protéger efficacement, il me fallait devenir son allié.

Quant aux questions que j'avais à lui poser, elles étaient nombreuses, mais la plupart pouvaient attendre.

« Si nous devons travailler ensemble, il va falloir accorder nos violons. Avez-vous des objectifs particuliers dont je devrais être informé ? »

Évitons d'emblée d'être contre-productifs. En tant que conseiller, mon rôle était de l'aider dans ses projets et de la détourner subtilement de toute chose qui pourrait être préjudiciable pour elle ou Kireïde. J'allais devoir appliquer mes compétences stratégiques à d'autres domaines que la guerre et ce serait un nouveau défi. Cela dit, je ne doutais pas de mes capacités et elle semblait loin d'être bête, bien qu'un peu directe. Ce dernier point pouvait être un défaut dans le domaine de la diplomatie, ça n'en restait pas moins une chose que j'appréciais. Tourner autour du pot ne constituait qu'une perte de temps.

« Si cela vous convient, j'aimerais également disposer d'une chambre au palais. Afin d'être disponible en cas de besoin. »

Pour un rôle ou l'autre, ce serait un gros plus. Devoir faire la route de chez moi au palais en cas de pépin serait courir un risque inutile et elle pourrait disposer de mes conseils à tout moment. Tout en empêchant les intervention extérieures pour faire pression sur moi. Je ne les craignais pas vraiment, c'était plus une question de tranquillité.

The sky is (no longer) the limit

Ah... Ouais... Quand même... Elle n'y allait pas de main morte niveau ambitions. Ramener les morts à la vie, rien que ça. Pour les Algiz, c'était plutôt gérable, mais l'autre objectif ? Je ne savais même pas si une telle chose entrait dans le domaine du possible. Et j'étais capable de commander à la terre, ça en disait long.

« Je peux vous aider pour les deux objectifs. Même si je ne peux pas vous promettre la réussite du second. Dans tous les cas, savoir, pouvoir et patience sont des choses dont nous aurons besoin. Je peux vous aider pour les deux premières, à vous de trouver la troisième.  »

Autant ne pas faire de promesses que l'on ne pouvait tenir. Cette idée de ramener les morts à la vie pouvait s'avérer dangereuse à long terme, cela dit. Qu'arriverait-il si cela s'avérait impossible ? Comment réagirait-elle ? Le temps d'y parvenir, elle aurait peut-être changé d'avis ou décidé qu'il valait mieux laisser les morts reposer en paix. Ce genre de projet pouvait prendre des années, après tout.

Quant à la question sur mes motivations, il ne fallait pas chercher bien loin. Mes objectifs globaux étaient clairs comme de l'eau de roche et détailler chacun de mes projets liés prendrait certainement trop de temps. Au cas par cas, peut-être. Et n'oublions pas de la remercier pour la suite.

« Merci. En ce qui concerne mes objectifs... Le prestige n'est qu'un moyen, pas une fin. L'argent, il me suffit d'user de ma magie pour en trouver. Et mes seules ambitions sont de faire prospérer Kireïde et anéantir Ilmyde - ou, tout du moins, les Algiz qui y vivent. »

J'étais un patriote, rien de plus. Certes, mon plus grand projet récent était de fonder une académie de magie en Kireïde, mais ce n'était que dans le but de renforcer la nation, je n'avais rien de personnel à en tirer. Et il n'était pas spécialement urgent.

Mon honneur est ma vie

Nous connaissons nos objectifs respectifs. Ils ne sont pas opposés. Aucune raison pour que nous ne ne puissions travailler efficacement, tous les deux. Néanmoins, elle semble rechercher une confirmation supplémentaire de ma loyauté. Une chose compréhensible lorsqu'on appartient à une famille possédant autant d'ennemis. Il n'y a aucune hésitation dans le ton de ma voix lorsque je lui réponds.

« Ma loyauté vous est acquise. »

Je suis peut-être adepte des techniques les moins conventionnelles et un fervent défenseur du fait que la tromperie est une part essentielle de tout affrontement, je n'en reste pas moins fidèle à la parole donnée. Cela dit, une précision semble nécessaire.

« Néanmoins, le bien de Kireïde passe avant tout le reste à mes yeux et, si j'en viens à considérer que vous servir va à son encontre, je devrai vous rendre ma démission. »

Elle était prévenue. Il n'y aurait ni tromperie, ni trahison. Je quitterais simplement son service. Quitte à la conseiller sur le choix de mon remplaçant si elle le désirait.